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" Être bénévole à Nightline PSL, c'est être avant tout une oreille attentive"

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Originaire d’Irlande, Patrick Skehan, enseignant en anglais à Paris-Dauphine a, en débarquant en France il y a quelques années, une idée d’association bien particulière. Il décide, courant 2017, de déposer son projet à l’Appel à initiatives étudiantes PSL et obtient un financement : ainsi naît Nightline, première association de service d’écoute en ligne par et pour les étudiants de PSL. 

Patrick Skehan, fondateur de l'association Nightline

Patrick Skehan dans les locaux de l'association Nightline   
 

Mon parcours
C’est lors de mes études de Droit à Trinity à Dublin il y a quelques années que je suis devenu bénévole dans une association de service d’écoute en ligne, un « nightline » irlandais. Ce genre d’association est bien développé en Irlande et en Grande-Bretagne depuis les années 60 (ndlr : une quarantaine de services d’écoute en ligne présents). Puis j’ai choisi, il y a cinq ans, de faire mon Erasmus en France. Je me suis rendu compte en arrivant qu’il n’y avait aucune structure similaire. Développer un « nightline » français ne s’est pas fait tout de suite. Je suis reparti en Irlande après mes études à Sciences Po en 2014, avec ce projet en tête.

Le déclic
En revenant à Paris en septembre 2016 en tant que pensionnaire étranger à l’ENS-PSL, j’ai été frappé par l’absence de structures liées aux soutiens psychologiques et dédiées aux étudiants… contrairement à l’Irlande. Seulement 8% des étudiants connaissent les BAPU (Bureau d’Aide Psychologique Universitaire), et s’ils parviennent à l’info, il leur faut patienter souvent plusieurs mois pour un rendez-vous. Là, problème ! Car comment aiguiller quelqu’un efficacement avec tant d'attente ? Mon projet d’un nightline en France est devenu plus que jamais d’actualité. PSL ayant une bonne visibilité à l’ENS, j’ai rapidement eu vent de l’appel à initiatives étudiantes. C’était évident, à ce moment-là, qu’il y avait une opportunité pour se lancer concrètement dans l’aventure.  

L’idée de parler sous garantie d’anonymat et avec des personnes qui sont vos pairs est plutôt originale en France, mais ça peut justement déverrouiller des blocages éventuels

Les débuts de Nightline PSL : créer un réseau et se faire connaître
J’ai postulé l’année dernière : nous avons obtenu des financements et un soutien de PSL qui nous ont permis d’avoir le matériel nécessaire et de former les premiers bénévoles.
Sans locaux au démarrage, nous en avons profité pour créer des partenariats, rencontrer les personnes qui pouvaient nous aider dans notre démarche et améliorer notre réseau : le psychiatre de l’ENS, le personnel de l’Institut Mutualiste Montsouris, la Fondation Santé des étudiants de France… Nous avons également créé des liens solides avec Suicide Écoute, qui m’a d’ailleurs demandé de participer avec eux au festival Solidays en juillet dernier.

Cette année, nous avons un local grâce à PSL qui nous a ouvert ses portes en novembre dernier : chaque soir, de 21h à 2h30 du matin (hormis les mardis et mercredis), deux à trois bénévoles font la permanence et prennent le relais. On a senti que le lancement de Nightline était le bienvenu : on a placardé les affiches dans beaucoup de toilettes des établissements, meilleur endroit pour capter l’attention en toute discrétion. L’idée de parler sous garantie d’anonymat et avec des personnes qui sont vos pairs est plutôt originale en France, ça peut justement déverrouiller des blocages éventuels.

Être bénévole, ça s’apprend ensemble
Les bénévoles viennent de toute la communauté PSL : il y en a de l’ENS-PSL, mais aussi de l’ESPCI Paris-PSL, des MINES ParisTech-PSL, de Chimie ParisTech-PSL, du Conservatoire national supérieur d’Art Dramatique…Ce qui fait que certains soirs, on peut se retrouver avec un étudiant en chimie, une autre en philosophie et un troisième en théâtre qui échangent autour de problématiques communes. Et l’un des objectifs de l’association est précisément celui-là.

Au total, les bénévoles sont une trentaine à se relayer (ndlr: Patrick coordonne les permanences mais ne prend pas les appels). Il est question, en dehors de la prise d’appels, de créer des liens, de permettre d’échanger lors des temps de « pause » : c’est pourquoi il n’y a jamais de permanence effectuée seul(e). Le but est d’être ensemble, d’aider à notre manière ceux qui nous appellent mais aussi de créer des connexions entre nous.

On a aussi une réunion mensuelle tous ensemble avec un(e) psychiatre ou un(e) psychologue afin d’échanger autour des appels reçus, qui sont parfois difficiles à gérer seuls. C’est l’occasion d’évacuer nos émotions en ayant à nos côtés un(e) professionnel(le). Après chaque réunion, on sort tous prendre un verre, toujours dans cette perspective de créer des liens.

Les principes de Nightline
Nous avons 4 grands principes dans l’association : nous garantissons l’anonymat, la confidentialité, nous ne jugeons pas et nous ne sommes pas directifs. On est concentrés sur la personne qui nous appelle. Et attention ! Les bénévoles ne sont pas là pour apporter des diagnostics, pour donner des conseils. Nous ne nous positionnons surtout pas comme des personnes ayant des compétences en psychologie ou en psychiatrie : pas du tout. Et la confusion se fait souvent ! Nous sommes surtout et avant tout un service d’écoute en ligne.

Notre devise
 « Il n’y a pas de petits problèmes » ! Quel que soit le sujet, on ne hiérarchise pas les appels. Chaque personne a son émotion, son vécu, et s’il souhaite en parler, on est là : on peut donc nous appeler pour n’importe quelle raison. Parfois, on a juste besoin d’exposer un problème qui ne nécessite pas une séance avec un psy, mais qu’on a du mal à évoquer avec ses amis. Le service peut être une solution pour en parler, tout simplement.

Les trois qualités du bénévole 

  • 1.  Savoir être à l’écoute, évidemment ! Le bénévole est une oreille attentive ET un informateur. Il est le lien, par exemple, entre la personne qui appelle et un psychologue. Mais il est surtout une oreille attentive car un(e) étudiante peut appeler n’importe quand, sur n’importe quel sujet, et il n’en est pas de petits ou de dérisoires. Ça peut être, par exemple, quand quelqu’un rentre tard la nuit et qu’il souhaite avoir quelqu’un au bout du fil durant son trajet. Parfois, l’appelant a du mal à s’exprimer ou finalement, son appel ne lui semble pas si utile, alors ça raccroche en plein milieu. On est tout à fait ok avec ça. Il n’y a aucun souci à ce qu’on nous rappelle plusieurs fois si besoin aussi. Souvent, il s’agit avant tout d’exprimer, de mettre des mots à voix haute, sur des questions, des réflexions, des problèmes rencontrés.
  • 2. Un vécu, une somme d’expériences. Par exemple, je peux, en tant qu’ex-étudiant irlandais débarquant en France, tout à fait comprendre les interrogations et réflexions d’un étudiant étranger arrivé en France. Mais il ne s’agit surtout pas de parler de son vécu, de projeter sur l’appelant son expérience. Simplement, ce bagage qu’on a chacun en soi nous aide à avoir une meilleure compréhension du problème et à aiguiller la personne vers les meilleures structures possibles.
  • 3. La motivation d’intégrer un groupe, un collectif : c’est extrêmement important de se sociabiliser car nous sommes une association étudiante et on a besoin d’être bien ensemble pour mieux aider les autres.

« Il n’y a pas de petits problèmes ». Quel que soit le sujet, on ne hiérarchise pas les appels

Nos prochains objectifs
Un premier objectif pour Nightline : former les bénévoles durant deux week-ends complets avec des professionnels médiateurs, afin d’être toujours plus efficaces au bout du fil. Ensuite, on va essayer d’ouvrir plus de soirs par mois et d’élargir le réseau au-delà de PSL. 

On veut également, dans un second temps, ouvrir une ligne anglophone : on doit recruter des étudiants qui sont extrêmement à l’aise (presque bilingues) en anglais. C’est un enjeu important : il peut y avoir un besoin, je pense, auprès des étudiants internationaux. On va explorer cette piste si on arrive à avoir d’autres financements. 

Mes objectifs à moi ? J’aimerais me consacrer au moins encore deux ans au projet à Paris : je suis enseignant en anglais à temps partiel, et le temps restant, je me consacre à Nightline. Le challenge est de pouvoir, avant de repartir, ouvrir un service anglophone qui marche bien, et élargi à d’autres établissements.
Dans dix ans, j’aimerais que Nightline existe encore, et qu’en allant à la rencontre des nouveaux bénévoles, je ne connaisse absolument personne. Ce sera le signe que l’asso’ roule, qu’il y a une continuité.