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Perseverance : l’atterrissage sur Mars vécu de l’intérieur par deux scientifiques de l’Observatoire de Paris – PSL

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Le 18 février 2021, oubliant le contexte sanitaire pour quelques heures, des hommes et des femmes du monde entier assistaient fascinés à l’atterrissage du rover Perseverance sur Mars. Ce nouveau rover spatial, développé dans le cadre de la mission internationale Mars 2020, explorera les fonds du cratère Jezero et collectera des échantillons. SuperCam, développé sous la coresponsabilité française, est l’un des 7 instruments embarqués sur le rover. Il a bénéficié du rôle déterminant des équipes scientifiques du Laboratoire d’études spatiales et d’instrumentation en astrophysique de l’Observatoire de Paris - PSL. Interview de Pernelle Bernardi, ingénieure de recherche CNRS au LESIA et ingénieure système de la caméra SuperCam et Athéna Coustenis, astrophysicienne, directrice de recherche CNRS au LESIA.

Credit: NASA/JPL-Caltech

PSL : Le monde a découvert la vidéo de l’atterrissage de Perseverance sur Mars le 22 février. Pourriez-vous nous donner votre point de vue de scientifique sur cet atterrissage fabuleux : quels en sont les moments clés ? Ceux durant lesquels vous avez tremblé ou craint pour le rover ?

J’ai vécu ces 7 minutes de terreur en apnée ! La séquence était automatique : aucune intervention humaine possible et on ne pouvait donc qu’assister à l’évènement.

Pernelle Bernardi : Faire atterrir un robot de plus d’une tonne sur Mars est probablement le défi technique le plus complexe de l’exploration spatiale aujourd’hui. Il faut réussir à annuler toute la vitesse initiale fournie par la puissante fusée américaine Atlas V. Chaque étape de la procédure d’atterrissage est critique et doit être réussie, sinon c’est l’échec de la mission. Pour le JPL (Jet Propulsion Laboratory, qui a construit cette mission), l’ouverture du parachute à une vitesse hypersonique (plus de 1500 km/h) reste la phase la plus sensible. J’ai vécu ces 7 minutes de terreur en apnée ! La séquence était automatique : aucune intervention humaine possible et on ne pouvait donc qu’assister à l’évènement. Et puis il faut se rappeler que lorsque le signal indiquant l’entrée atmosphérique de la sonde est arrivé sur Terre, le rover était déjà posé depuis 4 minutes (décalage de 11 minutes de la transmission de données dû à la distance entre les deux planètes). Après avoir visionné les images de la descente, on ne peut qu’être impressionné par la parfaite maîtrise technique du JPL : les images sont tout simplement époustouflantes. Et puis ils se sont permis d’ajouter un « Easter Egg » sur le parachute en codant la devise du JPL « Dare mighty things ». Oui, à leurs côtés, on peut s’autoriser les rêves les plus fous !

 

Easter-Egg_Credits_NASA_JPL-CALTECH

Athéna Coustenis : « Nos rêves les plus fous », effectivement l’expression est juste ! En tant que scientifique, toute opportunité d’assister à un atterrissage (ou un lancement) est vécue comme un cadeau, un moment merveilleux qui ouvre sur de nouvelles occasions d’apprendre, de connaître et de s’émerveiller devant de futures découvertes. J’ai, pour ma part, eu la chance d’assister à trois lancements (Cassini vers Saturne en 1995, Horizon vers l’ISS en 2018 et Solar Orbiter vers le Soleil en 2020) et plusieurs « arrivées » (Voyager 2 à Neptune en 1989, Cassini en 2004 et Perseverance). Ce fut chaque fois un moment magique et terrifiant, car le risque d’échec existe toujours. Pour un atterrissage, par opposition à une mise en orbite, c’est encore plus palpitant. Mars est un cas à part. La planète est une cible privilégiée pour l’exploration spatiale, un grand nombre de missions ont été envoyées depuis les années 60, et nous avons connu beaucoup d’échecs. Ce fut une entreprise difficile…
Chaque mission qui atterrit sur la surface de Mars est un exploit. Cette fois-ci, avec SuperCam sur Perseverance, nous, les Français, étions sur le devant de la scène. Nous avons pu, par conséquent, vivre l’angoisse et l’exaltation qui précèdent l’atterrissage encore plus intensément que d’habitude.
J’ai vécu mes « plusieurs minutes de terreur » aux côtés de mes collègues à la Cité des Sciences et de l’Industrie. Nous y avons suivi en live l’événement et commenté, auprès d’un public en visio, les apports scientifiques de la mission : meilleure connaissance d’un monde qui a tellement à nous apprendre sur le climat, l’évolution atmosphérique, l’émergence de la vie, et l’habitabilité en général. Les critères d’habitabilité sont : l’eau liquide, les composés organiques, les sources d’énergie dans un environnement stable.

 

 

PSL : Justement, en quoi la mission Mars 2020 est-elle selon vous différente des missions précédentes ?

Mars 2020 va nous permettre d’analyser les données pour, notamment, mieux comprendre comment la planète a perdu son atmosphère.

Athéna Coustenis : Les missions précédentes, comme la sonde européenne Mars Express et le Mars reconnaissance Orbiter de la NASA, ont montré de nombreuses traces d'érosion sur la surface de Mars, incluant des indications de grandes inondations et des rivières. Nous avons donc la preuve de la présence d’eau liquide en abondance sur Mars il y a environ 3,5 milliards d’années. Néanmoins, ce phénomène a pu être très bref et s’est surtout produit il y a très longtemps. Mars 2020 va nous permettre d’analyser les données pour, notamment, mieux comprendre comment la planète a perdu son atmosphère. On pense que, sans disposer de la tectonique des plaques, Mars a été incapable de recycler les roches en dioxyde de carbone dans l'atmosphère et Mars n’a donc pas pu maintenir un effet de serre important. Cela a entraîné de basses températures (-60°C) et la perte de son atmosphère à cause, probablement, du vent solaire et de la radiation en l’absence de protection par un champ magnétique.
Cette nouvelle mission de la NASA, accompagnée par les autres missions présentes autour et sur Mars (dont les récentes Hope des Emirats Arabes Unis et Tianwen-1 de la Chine), nous fournira des données dont l’étude permettra de reconstruire l'histoire de l'activité aqueuse sur Mars et de caractériser une période ancienne où l'environnement a pu être favorable à l'apparition d'une chimie pré-biotique. A cet effet, trois des missions sur place actuellement (Mars Express, Curiosity, et le ExoMars Trace Gas Orbiter) ont mesuré la quantité de méthane dans l’atmosphère de Mars et donné des résultats différents allant de la détection à l’absence en haute atmosphère… Certains se sont alors posé la question de savoir si le méthane fournissait l’indice possible d’une forme de vie. Sur Terre le méthane est à 90% lié à la vie, il est un sous-produit du métabolisme des organismes vivants. La présence du méthane sur Mars reste à confirmer et à expliquer, mais elle pourrait être liée à une activité volcanique ou hydrothermale et sa non-détection pourrait s’expliquer par une chimie hétérogène qui le détruit… Il est trop tôt pour le dire et, de manière générale, nous nous heurtons à des difficultés d’interprétation des mesures faites par les différents instruments en présence d’autres gaz atmosphériques, mais espérons que cette mission nous apportera des éléments de réponses.

 

PSL : SuperCam est décrite comme la tête et l’œil du rover, pourriez-vous expliquer ce que cela signifie ? Quelles sont les spécificités de cette caméra ?

Les équipements embarqués sur SuperCam sont pour beaucoup une première et une prouesse technologique.

Pernelle Bernardi : Effectivement, SuperCam est l’instrument en haut du mât (la tête) et est équipé d’une caméra (l’œil). Mais c’est avant tout un instrument franco-américain composé de deux boitiers :

  • le Mast Unit, fourniture française, qui est placé en haut du mât de Perseverance. Son télescope de 110 mm de diamètre forme l’œil du rover,
  • le Body Unit, caché dans le corps du rover, qui est fourni par le Los Alamos National Laboratory (Nouveau-Mexique, USA).

SuperCam est également souvent appelé « le couteau suisse » de Perseverance car c’est un instrument doté de cinq techniques d’observation à distance : 3 techniques de spectroscopie pour étudier la chimie des roches (LIBS) et la minéralogie (Raman-Luminescence et réflectance Visible-Infrarouge), un imageur couleur et un microphone pour enregistrer les vents martiens et les ondes de choc émises par le plasma LIBS. Ces fonctions sont pour beaucoup une première et une prouesse technologique. Aucun des instruments des missions précédentes n’était, par exemple, équipé d’un micro fonctionnel, ou de fonctionnalités de tirs en spectroscopie Raman… Comme le précisait Athéna, c’est une grande fierté d’avoir pu contribuer à ce projet. SuperCam sera un instrument stratégique pour le choix des cibles à étudier et des sites de prélèvement d’échantillons.

 

PSL : Effectivement, SuperCam a été développé par un consortium scientifique associant différents laboratoires français et internationaux. Comment s’est déroulée cette collaboration (durée du projet, nombre d’interlocuteurs…) ? Quelle a été la mission du LESIA en particulier ?

Plus de 200 personnes ont été impliquées dans la conception, fabrication, intégration et tests de ce Mast Unit, durant six ans, sans compter les nombreux partenaires industriels.

Pernelle Bernardi : Oui, ce projet est un bel exemple du fonctionnement d’un consortium scientifique international. SuperCam est le fruit d’une collaboration de longue date entre le LANL (Los Alamos National Laboratory au Nouveau-Mexique, USA) et l’IRAP (Toulouse), qui avait déjà permis de livrer l’instrument ChemCam sur Curiosity. La partie française de l’instrument, le Mast Unit, a été développée, sous maîtrise d’œuvre du CNES, par un consortium de six laboratoires du CNRS et des universités, dont le LESIA à l’Observatoire de Paris - PSL. Plus de 200 personnes ont été impliquées dans la conception, fabrication, intégration et tests de ce Mast Unit, sur une durée de six ans, sans compter les nombreux partenaires industriels. Cela requiert une très bonne organisation et des échanges soutenus entre les acteurs français, mais également avec le LANL et le JPL.
Le LESIA a joué un rôle majeur dans ce consortium en assurant des rôles clés de pilotage projet (co-gestion de projet, responsabilité système, architecture thermique...), en livrant le spectromètre infrarouge co-développé avec le LATMOS et en participant à l’équipe scientifique. D’ailleurs, l’ultime série de test de l’instrument avant son montage sur le rover a été effectuée dans les salles blanches du LESIA sur le site de l’Observatoire de Paris – PSL à Meudon.

Athéna Coustenis : En complément de la réponse de Pernelle, j’aimerais situer Perseverance dans le contexte du projet Mars Sample Return (MSR). Perseverance est aujourd’hui le premier jalon dans ce projet conjoint de l’ESA et de la NASA. Sa mission d’acquisition et de stockage des échantillons pour de futures analyses sur Terre suit un scénario assez complexe qui ne serait pas possible sans cette étroite collaboration entre les deux agences spatiales. Le rôle que l’Europe joue est essentiel pour l’acquisition des échantillons et la gestion de leurs retours sur Terre grâce au Earth Return Orbiter (ERO). Dans ce type de projet, l’Europe a d’ailleurs la chance d’être un partenaire privilégié de la NASA et de Roscosmos (l’agence spatiale russe), cela lui permet de positionner ses ingénieurs et ses scientifiques en première ligne des exploits des missions spatiales actuelles, mais aussi futures.

 

Rover perseverance Credit: NASA/JPL-Caltech

PSL : La mission d’exploration et de collecte de Perseverance a débuté, les premiers échantillons sont attendus pour 2031. Comment s’assure-t-on au sol du bon fonctionnement du matériel ? Quelles sont les missions des équipes du LESIA ?

Chaque jour une équipe composée d’ingénieurs et de chercheurs se réunit au centre d’opérations du CNES pour recevoir et analyser les données du jour précédent, et préparer le plan d’activités du jour suivant.

Pernelle Bernardi : Perseverance vient d’arriver sur la surface martienne et la phase de vérification de la bonne santé du véhicule et des instruments bat son plein. Pour opérer SuperCam, chaque jour une équipe composée d’ingénieurs et de chercheurs se réunit au centre d’opérations du CNES (le FOCSE) pour recevoir et analyser les données du jour précédent et préparer le plan d’activités du jour suivant. Ils analysent ainsi les spectres, fichiers sons, images, en font une interprétation scientifique et les transmettent aux équipes de géologie et chimie. Leur rôle est d’acquérir le maximum de données possible avec SuperCam tout en s’assurant d’utiliser l’instrument en toute sécurité.
Le LESIA participe activement à ces opérations en apportant l’expertise technique instrument, et en jouant des rôles scientifiques en « uplink » (préparation des séquences d’observations), « downlink » (analyse des données), ainsi que sur les stratégies à moyen et long terme. Ces opérations sont définies pour les trois années à venir, peut-être ira-t-on jusqu’à cinq ans.
Pour les équipes techniques, dont je fais partie, qui ont développé les instruments, l’atterrissage du rover marque la fin d’un épisode de vie professionnelle. Mais pour les scientifiques cela constitue le début de l’aventure. Cette mission va fournir une matière exceptionnelle d’exploration scientifique. Elle ouvre de nouveaux sujets de recherche, deux post-doctorants ont déjà commencé des travaux au LESIA et nous avons la chance immense de compter des scientifiques français impliqués dans les différentes équipes d’analyse d’échantillons du rover. Les perspectives sont immenses.

Athéna Coustenis : Effectivement, l’aventure commence ! Mars est un désert froid et inhospitalier aujourd’hui, mais des caractéristiques telles que les lits de rivières asséchés et les minéraux qui ne se forment qu'avec de l'eau liquide indiquent qu'il y a longtemps, Mars avait une atmosphère épaisse qui retenait suffisamment de chaleur pour que l'eau liquide puisse s'écouler à la surface.
Cependant, des questions subsistent notamment sur les conditions précises du passé – où est passée l’eau que Mars arborait jadis ? À quel point l'environnement de Mars était-il semblable à la Terre ? Pendant combien de temps ?
Si la vie a pu apparaître, pourrions-nous trouver des traces de vie fossile ? Quelle est l’origine du méthane ?
Et beaucoup d’efforts sont consacrés à la future exploration de la planète pour répondre à ces questions, et sans doute Perseverance et tout le projet Mars Sample Return, dont Mars 2020 est la première étape, joueront un rôle crucial.
Il faut insister sur le fait que la récolte et le traitement d’échantillons arrivant sur Terre n’a rien d’évident. En plus de la prouesse technologique, il s’agit de faire attention à ne pas contaminer le milieu dans lequel on opère la collecte et aussi de veiller à ne pas contaminer notre Terre. C’est ce qu’on appelle la « Protection Planétaire ». Les échantillons seront rapportés sur Terre pour être analysés dans des installations spécialisées par des scientifiques et ainsi avancer nos connaissances sur la planète rouge et la recherche de la vie dans le système solaire. Tout ceci sera fait dans le respect le plus strict des règles de protection planétaire pour ne pas contaminer Mars d’une part et ne pas poser de risque pour notre biosphère au retour non plus. Je suis la présidente d’un comité du COSPAR (comportant d’autres Français scientifiques et représentants du CNES) qui veille à ce que ces règles soient respectées.

Athéna Coustenis est une astrophysicienne française spécialisée en planétologie. Elle est directrice de recherche au CNRS, au LESIA (Laboratoire d’Études Spatiales et d'Instrumentation en Astrophysique), à l'Observatoire de Paris - PSL. Elle est impliquée et dirige des projets de missions spatiales pour l'Agence spatiale européenne (ESA) et pour la NASA. Elle se concentre principalement sur les planètes géantes gazeuses Saturne, Jupiter et leurs lunes. Elle préside des comités consultatifs de l’ESA, du CNES et du COSPAR.

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Pernelle Bernardi est ingénieure de recherche en astrophysique CNRS au LESIA (Laboratoire d’Études Spatiales et d'Instrumentation en Astrophysique), à l'Observatoire de Paris - PSL Spécialiste en développement d’instruments pour l’exploration spatiale ou installés sur de grands télescopes au sol, elle est la responsable des spécifications et des performances de SuperCam. Elle a reçu en 2020 la médaille de Cristal CNRS.

Lire son interview dans le Journal du CNRS

 

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