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Près de deux ans de travaux scientifiques sur le Covid-19 : regards croisés de chercheurs PSL

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Depuis mars 2020, de la découverte du virus au vaccin, de l’émergence de nouveaux variants aux rebonds et décrues épidémiques… les regards sont tournés vers les résultats, les conclusions des travaux scientifiques. Derrière chacune de ces avancées ou de ces prises de position se trouve une activité scientifique interdisciplinaire. Plus d’un an et demi après le début de la crise sanitaire, trois chercheuses et chercheurs de PSL portent un regard rétrospectif et prospectif sur l’impact de cette pandémie sur leur activité et leur secteur.

Manon Matias, Institut Curie

Interview croisée de :

 

PSL : En mars 2020, beaucoup de laboratoires ont réorienté leurs activités de recherche sur le Covid-19. Quel regard rétrospectif portez-vous sur ce moment clé ? La crise sanitaire a-t-elle influencé durablement vos recherches ?

Portrait de Rémi Carminati

Rémi Carminati : La pandémie Covid-19 a révélé l’agilité de la communauté scientifique, qui s’est mobilisée massivement et rapidement, à PSL comme ailleurs. Elle a, ce faisant, mis en lumière une réalité connue des chercheurs, mais parfois ignorée du grand public : toute crise d’ampleur, qu’elle soit sanitaire, climatique, économique… nécessite des réponses interdisciplinaires. Le développement d’un vaccin, d’un traitement médical, la mise en place d’une politique de santé publique ou encore de gestion de crise sont les résultats de travaux scientifiques mêlant recherches fondamentales (biologie, sciences du comportement…) et recherche appliquée (biotechnologies, gestion des données…). En France, certaines polémiques qui ont suivi l’annonce de l'arrivée d’un vaccin nous ont presque fait oublier qu'avoir un vaccin au bout d'un an est une formidable réussite scientifique et technique, permise grâce à une mobilisation interdisciplinaire et internationale.
Les chercheuses et chercheurs français y ont pris toute leur part. PSL développe, par exemple, dans le domaine de la santé, une recherche très complémentaire de celle menée en médecine dans d'autres universités françaises et les CHU. Je pense, par exemple, aux travaux de biologie aux interfaces avec la physique et la chimie menés par l’Institut Convergences Q Life, mais aussi bien-sûr à l’apport des travaux de Miquel Oliu Barton ou de Clotilde Thery dans leurs champs disciplinaires respectifs. Le tableau rassemblant les initiatives scientifiques de PSL face au Covid-19 offre également un bel aperçu du niveau d’interdisciplinarité nécessaire pour répondre aux enjeux.

Portrait de Miquel Oliu-Barton

Miquel Oliu-Barton : Le monde s’est arrêté en mars 2020, amenant les chercheurs de toutes disciplines à s’interroger sur la pandémie, comme l’a précisé Rémi. Dans un premier temps, il s’agissait de comprendre la propagation du virus, pour ensuite trouver des façons de l’endiguer. Les mathématiciens (notamment les modélisateurs de maladies infectieuses) et le personnel médical ont rapidement pris la parole : la croissance exponentielle du nombre de nouvelles infections, portée par un taux moyen de reproduction R0 largement supérieur à 1, doit être arrêtée au plus vite. Gestes barrières, distanciation sociale et restrictions de mobilité se sont ainsi imposés partout dans le monde.
Avec l’économiste Bary Pradelski (CNRS), nous avons alors développé une approche originale : et si on divisait chaque pays en « zones » et on permettait la reprise de toute activité sociale dans les « zones vertes » où le virus y est maîtrisé ? En outre, nous avons préconisé une libre circulation entre les différentes zones vertes européennes, indépendamment de leur pays d’origine, et de suivre une logique de zonage de type poupée russe. Cette logique permet de traiter les résurgences de manière efficace et d’éviter des mesures nationales disproportionnées. Avec des simulations à l’appui, nous avons remarqué que contrôler la mobilité à plusieurs échelles spatiales (municipalité, département, région, pays) favorisait énormément la sortie de crise : cela paraissait avantageux sur le plan sanitaire, économique et social. Des échanges avec des collègues économistes et épidémiologistes ont très rapidement confirmé cette intuition, et ils se sont joints à nous pour la suite. Rétrospectivement, c’est ce travail interdisciplinaire qui m’a le plus marqué. C’est un impératif qui restera au-delà de la crise sanitaire.

Portrait de Clotilde Thery

Clotilde Thery : Effectivement, l’agilité est propre à notre activité. Hors contexte Covid-19, mon équipe de recherche s’intéresse à un mode de communication entre cellules, les vésicules extracellulaires. Nous nous attachons en priorité à comprendre, d’un point de vue de recherche fondamentale, comment ces vésicules se forment et sont sécrétées, et quelles fonctions elles exercent, dans le contexte du développement de tumeurs et de leurs interactions avec le système immunitaire. Nous avons toujours en filigrane l’ambition d’utiliser ces connaissances pour développer de nouveaux outils thérapeutiques ou diagnostiques, mais avons peu eu l’occasion d’entrer dans cette démarche au cours des dernières cinq années. En mars 2020, pendant le confinement, nous avons dû interrompre brusquement tous nos projets de recherche sur ces

Nous avons rapidement eu l’idée d’appliquer nos connaissances à la communication intercellulaire dans le contexte de l’infection par le SARS-CoV2, et surtout avec une visée plus « appliquée ». Clotilde Thery

thèmes, mais nous avons rapidement eu l’idée d’appliquer nos connaissances à la communication intercellulaire dans le contexte de l’infection par le SARS-CoV2, et surtout avec une visée plus « appliquée », puisque notre idée était de développer un moyen d’empêcher l’étape initiale d’infection en utilisant des vésicules pour « tromper » le virus. Cette orientation m’a, en quelque sorte, redonné une impulsion pour pousser plus activement les développements « appliqués » de certains de nos projets, à la fois sur le SARS-CoV2 (si nous obtenons des financements pour aller plus loin), et sur nos thématiques de base (le cancer et l’immunothérapie).

 Covid-19. Initiatives de recherche PSL

PSL : La crise covid-19 a-t-elle, selon vous, fait émerger de nouvelles formes de collaborations dans le monde de la recherche et pourrait-on parler d’un monde scientifique d’après ?

Ouvrage Regads Croisés

 

Miquel Oliu-Barton : S’attaquer à des problèmes interdisciplinaires est difficile, mais important. L’ouvrage Regards croisés sur le Covid-19, auquel j’ai contribué aux côtés d’une trentaine de collègues, témoigne de cette volonté de la part de notre université. Basé sur des connaissances approfondies, chaque domaine apporte un point de vue ; ces points de vue sont tantôt complémentaires et tantôt contradictoires. Je propose d’illustrer cela par un exemple bien concret. Les médecins voient la crise depuis l’hôpital ; ils font face au nombre accru de patients en réanimation et de morts dus à la Covid-19. D’autre part, les économistes analysent les conséquences des mesures de confinement en étudiant la détresse des entreprises, l’évolution du taux de chômage, et la pression sur les caisses publiques. Ouvrir l’économie ou préserver la santé, tel était le dilemme que nos politiques devaient affronter à la fin de l’été 2020. Mais était-ce un vrai dilemme ? En analysant les données rassemblées au cours des 12 premiers mois de la pandémie, nous nous sommes rendu compte que, partout dans le monde, économie et santé allaient dans le même sens. Ce constat surprenant – parce que contre-intuitif – nous a donné envie d’élargir encore notre analyse, en allant voir des experts en santé publique, des sociologues, des politistes. De cette collaboration est née une brève étude, parue dans le Lancet en avril, dont nous ne mesurons pas encore réellement l’impact. Économie, santé, mais aussi nos libertés civiles, sont toutes les trois possibles, du moment où l’on choisit de viser l’élimination du virus. En quelque sorte, cette étude confirme notre intuition initiale sur les avantages des zones vertes, en y apportant des données.

Ouvrir l’économie ou préserver la santé, tel était le dilemme que nos politiques devaient affronter à la fin de l’été 2020. Mais était-ce un vrai dilemme ? En analysant les données rassemblées au cours des 12 premiers mois de la pandémie, nous nous sommes rendu compte que, partout dans le monde, économie et santé allaient dans le même sens. Miquel Oliu-Barton

Clotilde Thery : Pour le fonctionnement interne de mon équipe, l’émergence du nouveau projet m’a donné la grande satisfaction de permettre à deux chercheuses post-doctorantes senior de mon équipe, Lorena Martin-Jaular et Mercedes Tkach, de mettre en avant leurs capacités de direction et leur maturité scientifique : ce sont elles qui ont porté le projet jusqu’à la publication de l’article en un temps record ! Du point de vue des collaborations externes, nous avons eu besoin d’outils fournis par d’autres équipes : celle de Nicolas Manel à l’Institut Curie et celle d’Olivier Schwartz de l’Institut Pasteur. Dans cette période d’urgence et de crise, il y eut une évidente volonté de partager les outils et les connaissances, pour faire fructifier au mieux les expertises croisées. Cependant, ces partages se sont effectués au niveau national, alors que d’autres équipes ailleurs dans le monde développaient de leur côté des projets similaires aux miens, ce que j’ai découvert seulement a posteriori. Même si les échanges scientifiques sont plutôt ouverts et cordiaux dans le domaine des vésicules extracellulaires (en particulier au travers de la Société Savante Internationale ISEV, que je préside depuis juillet 2020), je pense que les enjeux économiques de la recherche biomédicale, exacerbés par l’urgence de la réponse à cette pandémie, ne conduiront pas (au contraire) à une attitude durable de partage et d’échange… Mais je suis peut-être trop pessimiste !

Rémi Carminati : Il est certes encore un peu tôt pour se prononcer sur l'émergence d'un monde scientifique d’après. Néanmoins, en venant bousculer nos fonctionnements habituels, cette crise semble avoir aboli certaines barrières. Clotilde et Miquel en témoignent : en mars 2020, brutalement et de façon inédite, l’activité de nos laboratoires a été remobilisée autour de cas d’études nécessitant une réponse rapide. Soudain, une alliance jusqu’ici assez rare entre la recherche fondamentale et la recherche appliquée s’est matérialisée. Nous, scientifiques, avons dû mobiliser les compétences de nos laboratoires pour apporter des réponses concrètes à court terme. Nous avons non seulement su faire, mais ainsi démontré l’importance du lien entre ces deux approches scientifiques.
Tout ceci n’est pas nouveau. L’histoire des sciences regorge d’avancées scientifiques stimulées par des questions très pratiques. Je suis moi-même convaincu de longue date que cette alliance donne à la science l’opportunité de jouer pleinement son rôle en permettant aux citoyens de mieux vivre. Et si PSL était déjà fortement engagée dans cette démarche avant la crise covid, la crise que nous venons de vivre me semble avoir ouvert de nouveaux horizons et modes de collaborations. Je suis impatient de les voir à l’œuvre.

 Publication dans The Lancet, SARS-CoV-2 elimination, not mitigation, creates best outcomes for health, the economy, and civil liberties, avril 2021

PSL : Depuis le début de la crise sanitaire, la part d’attention accordée à la recherche et aux avis des scientifiques par le monde politique et de la société dans son ensemble a atteint des niveaux inédits ces dernières années. Vous avez, chacune et chacun, participé à ces débats. Que retenez-vous de ces échanges ? Pensez-vous qu’on puisse en déduire un rapprochement durable entre le monde scientifique et la société ?

Miquel Oliu-Barton : Le rapport entre les sciences et la politique a beaucoup évolué pendant la crise. En mars 2020, les gouvernements étaient en état de sidération et cherchaient des réponses du côté de la science. Mais la science, n’ayant ni données sur lesquelles s’appuyer, ni recul, a laissé sa place aux modèles théoriques. Et c’est comme cela que notre proposition de déconfinement par zones (Oliu-Barton et Pradelski 2020a) a été repérée par le Conseil d’Analyse Économique et mise au premier plan. De longs échanges ont suivi, lesquels nous ont permis d’adapter notre modèle (mathématique au départ) au contexte social, économique, politique et juridique d’un pays comme l’Espagne – mon pays d’origine – ou la France. Ces efforts interdisciplinaires, bien au-delà du monde académique, ont payé : ces deux pays ont pu intégrer notre méthode dans leurs stratégies de déconfinement. Quelques semaines plus tard, nous l’avons adaptée au contexte européen (Oliu-Barton et Pradelski 2020b). En mettant l’accent sur la saison estivale à venir, préoccupation majeure des pays du Sud comme l’Espagne, la Grèce, la Croatie et l’Italie, nous avons ainsi réussi à attirer l’attention internationale, et à faire parvenir notre modèle à la Commission Européenne, laquelle l’a adopté quelques mois plus tard pour faire face à la deuxième vague.

Le lien entre la science et la politique s’est détérioré par la suite, avec les épidémiologistes, virologues et personnel médical d’un côté – notamment au sein du Conseil Scientifique – préconisant des mesures strictes et préventives, et l’exécutif de l’autre, préférant « vivre avec le virus » et la logique du stop-and-go qui en résulte. Cette rupture est inquiétante, mais nous ne tombons pas dans le pessimisme pour autant. Car, après tout, le pays s’en est mieux sorti en suivant les conseils de la science qu’en les ignorant.

Figure zonages verts et rouges, Miquel Oliu-Barton

Rémi Carminati : Effectivement, nous avons parfois observé une forme d'incompréhension entre le monde scientifique et l’opinion générale. Dans l’espace médiatique, les recommandations scientifiques ont été trop souvent confondues avec de simples avis ou opinions. C'est un problème sérieux. La communauté scientifique est en débat permanent, et ce débat nécessaire précède toute conclusion scientifique ou publication. Mais au bout du compte, les chercheuses et chercheurs ne formulent pas des avis, mais présentent des résultats démontrés et étayés de faits, chiffres, analyses.... Cette parole ne peut pas être mise en regard d’opinions, même les plus légitimes. Elle est de nature différente. Cette crise a été rapide, elle nous a toutes et tous plongés dans une réalité immédiate, pleine d'incertitudes. Aussi agile qu’elle soit, la recherche se doit de respecter son rythme, donner le temps du débat entre pairs, de l'analyse et des conclusions, en préalable à la prise de parole publique. C’est également un temps nécessaire pour travailler ses messages, renforcer sa communication et in fine mieux se faire comprendre. Je suis persuadé que l’université joue un rôle majeur dans cette démarche. Au sein de PSL, par exemple, nos étudiants, quelles que soient leurs ambitions futures, sont formés au plus près des méthodes scientifiques. On peut ainsi espérer que les futures/futurs décideurs issus de nos établissements seront armés pour affronter les crises de demain.  

Clotilde Thery : Les polémiques autour des traitements médicaux du Covid-19 au début de la pandémie m’ont également rendue perplexe. J’y ai vu une image négative de la science et de la médecine que je ne partage évidemment pas. Le temps a passé et j’espère que ces épisodes sont derrière nous. Au niveau de mon équipe de recherche, les interactions avec les journaux ont été très limitées. J’ai aidé à la rédaction d’un communiqué de presse sur notre article, qui a été repris dans des médias comme Science et Vie, mais aussi Ouest France ! Lorena Martin-Jaular a répondu à une interview en espagnol pour une journaliste de RFI pour l’Amérique latine. Mais nous n’avons pas parlé en direct avec des politiques ou des personnes du grand public, je ne sais donc pas à quel point ces échanges ont permis d’intéresser durablement en dehors du milieu scientifique ou médical.

 Publication dans le Journal of extracellular vesicles : Extracellular vesicles containing ACE2 efficiently prevent infection by SARS-CoV-2 Spike protein-containing virus, décembre 2020.